La peur devant la non action

Publié le 16.0702024

En 2004, le groupe de cascadeurs tchèques Adorea a commencé à se faire un nom dans le milieu. Leurs vidéos étaient visibles sur tous les réseaux sociaux. Ils impressionnaient par leur diversité technique, leur précision et surtout la vitesse avec laquelle ils exécutaient leurs actions. De nombreuses troupes de théâtre et de cascadeurs ont essayé de copier leur style. Malheureusement, la vitesse était souvent le seul élément conservé par les imitateurs.

Dans leurs spectacles, les chorégraphes de la troupe Adorea maîtrisaient très bien le principe du rythme et de la logique dans les actions. Mais la plupart de leurs vidéos étaient des démonstrations techniques. De petits enchaînements d'actions qui étaient sortis du contexte du combat. Il s'agissait de petites phrases d'armes qui étaient généralement intégrées dans des chorégraphies complexes.

Il me semble que la majorité des troupes qui s'étaient inspirées du style d'Adorea n'avaient pas compris ce fait. Dans la plupart des combats, les adversaires se précipitaient les uns vers les autres. Ils enchaînaient les coups à grande vitesse, souvent aidés par des armes en aluminium très légères. Les actions se succédaient sans plan, sans stratégie et surtout sans préparation. Même pour un escrimeur professionnel, il était difficile de suivre le déroulement du combat.

Sur scène, en tant qu'acteur ou cascadeur, nous travaillons pour le public. Quand nous nous battons sur scène, nous nous battons pour le plaisir du spectateur, disait toujours mon vieux maître Bob. Mais quand je vois ces combats fictifs, exécutés à une vitesse impressionnante, je ne peux m'empêcher de penser que ces acteurs se battent plutôt pour leur propre plaisir. Quand je vois ces scènes de combat d'une minute et demie ou deux minutes, où l'on se bat sans pause et à une vitesse époustouflante, cela me fatigue. Quand je regarde le public, je vois qu'une fois les combats terminés, une partie des spectateurs est partie, d'autres discutent avec leurs voisins et d'autres encore " suffoquent " littéralement en ayant retenu leur souffle pendant toute la durée du combat. Certes, c'était une performance sportive exceptionnelle, mais c'était affligeant, stressant, ennuyeux et fatigant à regarder.

Il y a quelques règles à connaître sur « l'action ». Qu'elle soit produite devant la caméra ou sur scène, les règles se ressemblent.

Selon moi, une scène de duel doit être lisible et suivre une certaine logique de combat, facile à comprendre. Comme le dit le proverbe, je n'apprécie que ce que j’arrive à voir et à comprendre.

Le rapport entre action et tension

Pour être crédible, une action de combat a besoin de tension entre deux adversaires. Sans tension, il n'y a pas de raison de se battre. Regardons les vieux films hollywoodiens. Un exemple classique est celui des duels dans les films du Far West. Deux personnes se font face dans la rue devant le saloon, se regardent, ouvrent leurs vestes et tournent lentement la crosse de leur revolver dans la bonne position. La tension entre les deux adversaires est palpable. Tous les spectateurs retiennent leur souffle. Au point culminant de la situation, lorsque la tension devient presque insupportable, les deux hommes sortent leurs armes.

La situation d'un duel à l'arme blanche est comparable. Deux combattants se font face, menacés par l'arme de l'autre. La tension monte et lorsqu'elle atteint son paroxysme, les deux duellistes s'affrontent.

Mais que se passe-t-il une fois que l'action est lancée ? Cela peut se résumer en une phrase : L'action mange la tension. La tension doit nourrir l'action, elle y est même vitale. Nous sommes maintenant confrontés à un dilemme. D'un côté, nous ne pouvons pas maintenir le suspense à son plus haut niveau, car nous ferions "mourir" nos spectateurs en leur faisant oublier de respirer. D'autre part, si la tension disparaît, nous n'avons plus de raison de nous battre.

Dans le premier cas, on peut aussi dire que trop d'action tue l'action. Des scènes de combat de plusieurs minutes, où l'action tourne à vide, en sont un exemple. Elles sont exécutées à grande vitesse, avec un enchaînement de prouesses techniques ou d'images gores pour compenser le manque de contenu du scénario. Pour un spectateur qui ne connaît que peu de l'escrime, regarder de tels combats peut être très éprouvant. D'un côté, le rythme soutenu maintient une certaine tension dans l'action, qui se transmet au spectateur et c’est désagréable, mais d'un autre côté, le spectateur est submergé par les images qui se succèdent trop rapidement et deviennent ainsi incompréhensibles.

Que faut-il faire ? Faut-il laisser la tension être dévorée par l'action ? À un moment donné, il faut la reconstituer pour pouvoir continuer le combat. Pour cela, il suffit de faire des pauses dans le combat. Mon vieux maître Bob disait toujours : le meilleur moment en escrime, c'est quand il n'y a pas d'escrime. J'ai mis longtemps à comprendre cette phrase. Que voulait-il dire par là ? Il voulait décrire le point de suspension de l'action.

Le point de suspension de l'action

Imaginez que l'un des combattants repousse l'épée de l'autre, mais arrête son coup au-dessus de la tête de son adversaire. Que se passe-t-il maintenant ? Va-t-il frapper ? À un autre moment, un combattant se tient sans arme devant la pointe d’une lame. L'action est interrompue pendant un court instant, une forme de tension devient palpable. Dans les scènes avec beaucoup d'action, ce moment d'interruption est très important. Cette pause ou ce break aide à :

Il existe de nombreuses façons de provoquer un break naturel dans une phrase d'armes. Cela peut se faire en projetant l'adversaire et en lui laissant le temps de se ressaisir. Cela peut se faire en menaçant, en désarmant ou en combinant ces actions. Je me souviens de scènes où un combattant était coincé entre les spectateurs, dans une autre il avait marché dans un seau qui lui bloquait le pied. Comme toujours, l'imagination est sans limite.

Le geste classique pour interrompre l'action pendant un court instant est de menacer avec une arme. Il peut s'agir de la pointe ou du tranchant d'une épée. Comme déjà expliquer dans le chapitre dédié à la sécurité, nous évitons bien sûr de pointer le visage du partenaire.

Ce que nous devons comprendre, c'est que la menace des armes est un rapport de force. L'un menace, l'autre résiste et en rajoute peut-être une couche. On crée un moment de tension. Mais attention, cela doit être dosé. Si celui qui menace se jette en avant, il tue. Si le menacé réagit trop violemment, il tue. Dans les deux cas, notre duel est terminé. Maintenant, nous essayons toutefois de prolonger le plaisir. Si la personne menacée cède, elle est écrasée. C'est le cas lorsque le menacé recule sans cesse et perd du terrain. Dans de nombreux cas, les deux adversaires commencent à tourner en rond. L'énergie tombe à zéro, il n'y a plus de raison de se battre. Il est donc important que la personne menacée donne l'impression de résister.

En résumé, l'immobilité crée de la tension. Le mouvement et le combat permanents réduisent la tension. Or, la tension est nécessaire pour combattre. Nous devons donc intégrer des points où l'action est interrompue, des moments d'immobilité. Ces pauses dans le flux de mouvements nous aident également d'apporter un rythme à notre combat, ce qui contribue à maintenir l'attention du spectateur et à récupérer notre souffle, ce qui est important pour la sécurité.