Danse baroque: Comment l’escrime peut-elle permettre de restituer les rôles des guerriers ?

Publié en 1998

Il est en fait question non pas de la restitution du rôle, mais de la restitution de l'image du guerrier puisque nous cherchons à représenter des guerriers sur scène. L'image qui nous intéresse est celui du guerrier pendant les XVIIe et XVIIIe siècles.
L'image du guerrier a subi des transformations à travers les siècles qui sont liées à son rôle dans la société, mais aussi aux armes et aux techniques de combat employées. Même si chaque société les emploie en fonction de sa culture, je vais laisser de coté le rôle joué par le guerrier car tel n'est pas notre propos aujourd'hui.

Depuis toujours, l'armement joue un rôle considérable. Un cavalier était considéré différemment d’un combattant à pied, un archer différemment d'un épéiste. Cela se retrouve encore aujourd'hui dans les idées que nous avons des différents corps de l'armée moderne, des régiments de blindés, successeurs de la cavalerie, de l'infanterie, de l'aviation ou des forces navales.
Dans la tradition européenne, l'épée est étroitement liée à l'image du guerrier. Arme relativement lourde jusqu'au milieu du Moyen Age, elle nécessitait une certaine force physique pour être manipulée avec aisance. Les systèmes de combat étaient offensifs ; l’attitude au combat demandait au guerrier de s’appuyer davantage sur sa jambe avant. On parlait d'attaque, «attaque dans l'attaque » et de « contre-attaque ». Le corps-à-corps et la lutte jouaient un rôle très important, les combats singuliers étaient souvent d'une grande violence.

 

A la fin du 16e siècle, une nouvelle forme d’épée faisait son apparition, la rapière. Arme essentiellement de pointe et plus légère que les épées communes, elle permettait d'intercepter l'arme de l'adversaire et de l'utiliser pour trouver une cible sur son corps. On parlait alors d'une « riposte ». Le combat restait encore très offensif et physique, mais l'idée de se défendre avec une épée était née. Les combattants prenaient une posture dite « de garde »; l'intention étant d'intercepter l'arme attaquante en mettant bien le poids du corps sur la jambe avant.

 

En parallèle, l'apparition d'une multitude de traités, surtout italiens, prône une intellectualisation de l'escrime. On tente d'expliquer des actions par les moyens de la physique et de la mathématique. Un des premiers traités du 16ème était d'ailleurs écrit par un physicien, qui jetait ainsi les bases du système de parades encore utilisé aujourd'hui dans l'escrime sportive.

Mais le plus grand changement fut la transformation de l'épée passant d’une arme purement militaire à une arme dite « civile », très vite adoptée par la noblesse et la grande bourgeoisie. Elle est devenue une part du code vestimentaire.

L'arme apportait une certaine élégance et surtout témoignait indiscutablement du statut de guerrier de celui qui la portait. De véritables écoles voient le jour, dirigées par de véritables maîtres. Progressivement, un « art de l'escrime » s’est créé.

C'est François Ier qui fit venir des maîtres italiens en France, ces derniers apportant avec eux la rapière. De même qu'en Italie, cette arme s’est très vite intégrée, l'entraînement à l'escrime est devenu tout naturellement une partie importante de l'éducation des jeunes nobles et le duel un art de vivre.

Au début du XVIIe, l'épée a encore subi de sérieux changements. L'évolution de la technique d'escrime a permis de faire disparaître le panier de protection de la main et de diminuer d'avantage la garde pour la rendre encore plus légère. L'épée perdit complètement sa fonction d'arme de guerre, elle devint définitivement une arme civile, rangeant les cours d'escrime au rang de l'éducation physique. En parallèle, une nouvelle forme d'escrime se développa : l'escrime des salles d'armes, une escrime de courtoisie, destinée à l'entraînement et permettant aussi des contacts sociaux entre les classes.

C'était une escrime imprégnée de la peur de blesser son partenaire, car personne ne portait de masque et aucune mesure de protection passive n’était mise en place. Blesser quelqu'un dans la salle d'arme pouvait être assimilé à une mort professionnelle et sociale. Tout contact physique direct avec un « adversaire » était mal vu et témoignait d'une mauvaise éducation ou d'une basse extraction.
De fait, un véritable art du geste s’est créé, une escrime où la beauté du geste devenait plus importante que sa finalité. Il s’est développé une virtuosité au détriment de la rapidité atteinte grâce à la légèreté de l'arme. Un grand nombre d'actions fut créé, comportant une telle prise de risques que leurs utilisations étaient limitées aux « jeux d'épées » des salles d'armes.
L'escrime est devenue un art du geste, comme la danse, les deux disciplines étant d'ailleurs enseignées dans les mêmes lieux. Difficile de déterminer laquelle des deux a le plus influencé l'autre.

Voici quelques uns de leurs points communs:

– le port de la tête
– l'importance pour l'escrimeur de jeter les épaules en arrière
– le port des bras et la façon de les bouger et de jouer avec les poignets
– la séparation du haut et du bas du corps
– les positions des pieds : les première et deuxième positions étaient utilisées dans des exercices ; la troisième position, connue aussi comme « e rassemblement » et la quatrième avec le pied gauche devant, position classique d'un homme armé au repos, puisqu'elle dégageait la poignée de l'épée.

L'impact sur l'image du guerrier fut considérable. Indissolublement liée à l'épée depuis le Moyen Age, l'image d'un guerrier grand, athlétique, sauvage et bravant la mort est devenue celle d'un guerrier certes grand, mais aussi cultivé, habile à l'épée et à la joute verbale, se mouvant avec des gestes étudiés et aisés aussi bien dans la salle d'armes, la salle de danse, que dans les couloirs et les salles du château de Versailles.

Références des images :

Adresse permettant de localiser des traités de combat historique sur l'Internet  http://escrime-ancienne.eu/bibliotheque/index.html