La danse et l'escrime ou l'art d'être courtisan

Publié le 02.09.1997

L'escrime et la danse baroque ont plusieurs points techniques et buts pédagogiques en commun : les différents ports des bras et la position des pieds sont comparables, tous deux sont composés de mouvements phrasés, chorégraphies qui entraînent la mémoire de mouvement, et expérimente l'espace. Ces deux domaines sont aussi complémentaires. L’un apporte le contrôle de soi dans une situation de danger, l'autre apporte le contrôle de soi dans une situation galante ou sociale, situation tout aussi dangereuse... La combinaison de leurs qualités théâtrales constitue une expérience des plus enrichissante pour tout ce qui concerne les arts de la scène (danseurs, comédiens, chanteurs, etc.).

Depuis 1993, j'enseigne la danse baroque, le mouvement scénique et l'improvisation, au théâtre Elisabethbühne à Salzbourg. Ce cours que je donne au théâtre ne se borne pas en effet à de la technique " pure ", puisque mon intention n'est pas de former des virtuoses de la danse, mais porte plutôt sur les moyens d'utiliser cette technique pour les arts de la scène, à travers des exercices théâtraux spécifiques et les improvisations.

Plus accessible que la danse classique, mais en même temps exigeante, la danse baroque donne la possibilité de pendre conscience de son corps, de l'isolation des muscles, et de leur fonctionnement, de la notion d'équilibre, des mouvements possibles ou impossibles, de la coordination des mouvements, de la musicalité du corps, outils essentiels pour la communication non verbale.En effet, la danse baroque est trop souvent considérée comme une danse féminine et maniérée. Il s'agit, en fait d'une danse plutôt masculine (puisque les femmes n’apparurent au théâtre qu'en 1681) et théâtrale. L'homme baroque est danseur, et le maintien et la grâce du comédien viennent de la danse. Rappelons-le, Molière et plusieurs de ses comédiens dansent au théâtre.La danse s'est avérée indispensable à l'éducation de la noblesse et de la bourgeoisie pendant plus de deux siècles partout en Europe. On devait avoir recours à un maître de danse autorisé afin de compléter sa bonne éducation. La danse faisait partie d'une formation d'abord sociale, c'est à dire qu'on considérait la danse comme exercice pour la maîtrise de ses mouvements afin d'agir librement, sans hésitation dans la société.Un autre élément essentiel dans la "bonne éducation " du jeune courtisan était l'escrime, souvent reliée à la danse, pour donner plus d’habileté aux changements de directions, pour travailler la stabilité du corps, les changements contrôlés du poids du corps d'un pied à l'autre, pour comprendre la relation avec le partenaire (écoute, réaction, anticipation, etc.) et finalement pour avoir de la grâce dans l'effort. Le courtisan se battait avec élégance afin d'être capable de convaincre son adversaire qu'il était au-dessus des difficultés.Par contre, le danseur devait aussi se soumettre aux exercices d'escrime pour développer son courage et sa fermeté. D'ailleurs le port des bras, et probablement la position des pieds nous viennent de l'escrime. De même que " l'entrée des combattants" où les figures chorégraphiques d'escrime sont très présentes dans les ballets des XVII et XVIII siècles.Aujourd’hui, nous ne sommes pas aussi soucieux de notre maintien, de notre façon de s'asseoir ou de marcher. La notion de courage, de dignité et de fermeté n'est plus la même. La connaissance de nos mouvements n’est pas un sujet prioritaire dans notre éducation. Mais le public d'aujourd'hui reste pourtant exigeant face au jeu de l'acteur et la simple fait de mettre un habit du XVIII siècle ne suffit pas à le convaincre du rôle interprété. L'acteur doit donc en quelques répétitions devenir courtisan, prince, bourgeois, etc. Souvent, le temps manque pour ce travail, ce qui oblige le metteur en scène à choisir celui qui donne au départ l'impression d'être plus ou moins un prince ou un courtisan.Les comédiens qui pratiquent l’escrime artistique et la danse baroque sont d'abord étonnés de voir tout ce qu'ils ont à apprendre. Puis, assez rapidement, ils sont ravis de sentir cette aisance et cette liberté dans le mouvement et de connaître ce sentiment de dignité et de fierté, cette "belle allure ", qui aujourd'hui doit retrouver son sens. Ils se rendent compte surtout que cette danse traite d'éléments universels, applicables dans toutes les situations.

Edith Lalonger vient de Canada. Depuis 1988 elle travaille en Europe. Entre 1990 et 1996 elle a dansé pour les ensembles "Derra de Moroda " et " La Folia " à Salzbourg et a fait parti des Ballets du Théâtre National de Salzbourg. Egalement à Salzbourg, à l’Institut Carl Orff, elle a reçu sont diplôme d’enseignement de la musique et de la danse. Par le contacte avec les compagnies " Eclat de Muse " et " Ris et Danceries " elle a finalement atterri à Paris ou elle a fondé en 1996 sa propre compagnie de danse " Les Plaisirs des Nations ".Elle reste néanmoins bien en relation avec la plus belle ville d’Autriche où elle enseigne régulièrement au Théâtre Elisabethbühne.

Actuellement Edith Lalonger prépare un doctorat en esthétique de la Danse à la Sorbonne de Paris.

©Cie.STICS 1997