Michael Müller-Hewer

Escrime scénique

Publié le 10.05.1995

Il y a deux siècles encore l’escrime était considérée comme un art, ayant considérablement influencé d’autres arts comme la danse et la musique. Aujourd’hui, l’escrime est devenue un sport, dominé par la compétition et la performance. Des actions trop rapides et un règlement ardu ont eu pour conséquence perte de popularité et diminution du nombre des spectateurs.

L'escrime scénique, généralement appelé escrime de spectacle, occupe une toute autre place. Bien plus spectaculaire, puisque plus lisible pour le spectateur, elle bénéficie d’un nombre croissant d'adeptes. Pas un "son et lumière" sans combat ; on ne compte plus le nombre des spectacles historiques. Le cinéma français a repris la tradition des films de cape et d'épée avec Cyrano, la Fille de D'Artagnan, le Bossu, le Masque de Fer, les Visiteurs et sur scène à Paris en 1998, on joua en même temps deux versions de Cyrano de Bergerac.

Mais soyons franc. Même cette activité renaissante ne justifie pas forcément une formation des comédiens-escrimeurs. La liste des scènes d'escrime au théâtre n'est pas très longue, les chances de jouer une scène de cape et d'épée au théâtre sont relativement moindres et, pour les femmes, pratiquement inexistantes. Toutefois, et pas seulement en raison de son caractère spectaculaire, l'art de l'escrime occupe une place très importante dans la formation des comédiens.

L'escrime est un dialogue entre deux partenaires une arme à la main. Le duel, comme le texte, est composé de phrases. De même que pour le langage d'un texte, je module aussi les actions d'un combat. Les deux partenaires d'un dialogue travaillent ensemble, l'un et l'autre sont ouverts à leurs faiblesses et à leurs forces respectives. Par conséquent, il y a un rythme dans le duel, comme dans tout jeu scénique. Ce rythme de jeu déterminera essentiellement l'intérêt du spectateur pour la scène.

Le B A BA d'un comédien est d'apprendre et de mémoriser des quantités de texte. Une bonne mémoire de texte est très importante. Par comparaison, le danseur doit avoir une bonne mémoire du mouvement. Il n'est pas rare que l'on demande à un comédien d'apprendre parallèlement au texte des enchaînements de mouvements relativement compliqués, ce qui pose souvent des problèmes quasiment insurmontables. En pratiquant l'escrime de spectacle, le comédien est obligé d'apprendre des chorégraphies car les scènes de combat sont réglées jusqu'au plus petit détail. Parce qu'il travaille avec une "arme" dont la forme définit l'emploi, la mémorisation d'une chorégraphie semble plus facile et produit un entraînement de la mémoire du mouvement.

Un vrai combat scénique va totalement conquérir la scène. La chorégraphie d'escrime n'est pas seulement créée pour une histoire et ses acteurs, mais aussi pour un espace scénique. Le comédien bouge en corrélation avec son rôle, ses actions et le public. L'escrime transmet une expérience d'espace puisque le comédien doit être à chaque moment conscient de l'endroit où il se trouve.

Au départ, l'épée ou le sabre étaient des armes servant à blesser ou tuer un adversaire. Les armes utilisées au théâtre ou au cinéma sont souvent des copies conformes des originaux, tout aussi dangereuses. En travaillant avec des armes blanches, le comédien est confronté aux sentiments quotidiens. Entre autre la peur face au partenaire que l'on ne connaît pas bien, avec qui l’on n'a jamais travaillé, et qui pourrait placer par hasard cet objet pointu entre nos côtes. Et il y a la peur de blesser son partenaire. Le manque d'assurance et le doute quant à nos propres capacités augmentent les risques d'accident.

Comme pour un travail de texte, la technique est un moyen de contrôler la peur et de l'orienter vers un travail scénique. Pour apprendre une langue étrangère, il faut assimiler le vocabulaire et la grammaire. Il en est de même pour l'escrime. Si le comédien en connaît le vocabulaire et la grammaire, il peut construire des phrases et des chorégraphies. Le travail avec une arme comporte un risque d'accident pour lui et son partenaire. S'il maîtrise le maniement des armes, il devient conscient aussi de ses mouvements et de ses émotions, acquérant une précision dans son travail. Ainsi, il va augmenter sa sécurité et celle de l'autre, ainsi que l'impact de son rôle. Il faut être capable de répéter une scène d'escrime mille fois, comme n'importe quelle scène de théâtre.

Le maniement des armes demande aux comédiens un engagement physique ; c'est finalement un sport. Nous pouvons établir dans l'escrime de spectacle, très proche de l'escrime de duel, de nombreux parallèles avec les arts martiaux. Un entraînement régulier augmente la condition physique, les réflexes, la flexibilité et aussi la discipline, valeur très importante aujourd'hui dans notre métier. Bien sûr, nous pouvons nous demander pourquoi l'escrime de spectacle disparaît de plus en plus dans le cursus de formation des comédiens. Je pense qu’en France comme en Allemagne, il y a un manque de maîtres d'armes formés dans cette discipline.

L'escrime scénique est un dialogue entre deux partenaires sur scène, arme à la main et ce pour le plaisir du spectateur.