Les savoirs gestuels investigués : l’expérimentation des arts entre histoire des techniques, archéologie et histoire culturelle by Daniel Jaquet

Daniel Jaquet
Université de Genève Faculté des Lettres
Département d’histoire générale
 
Les chercheurs anglo-saxons reconnaissent de-puis quelques années un nouveau courant historiographique dans l’investigation des arts dits «per-formatifs »(1) et développent de nouvelles méthodes de manière transdisciplinaires, s’intéressant à des objets de recherche principalement contemporains. Ce type de recherches, fondamentalement interdis-ciplinaires, captive de plus en plus d’intérêts, mais manque d’ancrage institutionnel ou de reconnaissance de la part du monde académique, principalement par manque de visibilité ou par amalgame avec des activités poursuivant des buts qui diffèrent de ceux de la recherche académique, comme la re-constitution, la recréation ou la performance. De nombreuses initiatives et manifestations scientifiques réunissant des disciplines issues des sciences humaines, mais également des sciences exactes ont permis des mises en réseau autour d’objets d’études spécifiques et ont attiré l’attention du public académique depuis au moins une dizaine d’années (2). Ce court compte-rendu met l’accent sur un champ de recherche qui s’inscrit dans cet élan, mais qui s’intéresse spécifiquement à l’investigation de savoirs corporels (embodied knowledge), inscrits à travers une littérature technique remontant jusqu’au Moyen Âge tardif. En effet, différents chercheurs ont déjà investigué les arts de guerre ou de grâce, mais bien souvent à travers des témoins indirects (tels que des pièces de fouille archéologique, différentes formes d’iconographie ou encore de la littérature narrative), alors qu’il existe un vaste
corpus de littérature technique largement inexploré par la recherche représentant des témoins directs.
Un des enjeux majeurs de ce champ d’étude émergent est le statut des sources documentaires codifiant le savoir gestuel (danse, art martial, geste rituel). Suivant les pistes ouvertes par l’ouvrage pionnier  A cultural history of gesture(3), qui a mon-
tré l’intérêt du geste comme objet d’histoire, principalement pour l’histoire sociale et culturelle, les acteurs de la recherche se concentrent sur la littérature technique. Il s’agit de déterminer la place du vecteur écrit dans les processus de transmission du savoir (traditionnellement oral pour les savoirs gestuels), d’établir les stratégies autoriales et le public de destination, mais surtout d’éclairer les problématiques traditionnelles avec les apports des études de la littérature technique. Cette littérature technique possède également une histoire intellectuelle et culturelle. Elle s’inscrit
dans des courants, influencés également par les développements techniques de mise par écrit d’un savoir gestuel. Les auteurs du collectif  Réduire en art : la technologie de la Renaissance aux Lumières(4) ont bien cerné les problématiques inhé-rentes à ces courants et à leur histoire. Une des questions centrales qui animent les communautés est celle de l’expérimentation, qui reste à définir en tant que méthode de recherche propre aux démarches liées aux sciences humaines. 
En effet, si l’archéologie expérimentale ou d’autres méthodologies connexes sont établies, l’expérimentation gestuelle à partir d’une littérature technique, adaptée aux problématiques liées aux sciences humaines, reste encore à définir et à éprouver.