Le Maître d'Armes ou l'exercice de l'épée seule dans sa perfection par le Seigneur de Liancourt

L’escrime au temps de Louis XIV

 L’escrime change de visage. D’un art de combat qui assure sa survie pendant la bataille, elle devient un art culturel qui garantit la survie à la cour. Souvent enseignée par les mêmes maîtres que ceux de la danse, elle fait partie de la formation des jeunes nobles. Par son travail sur les mouvements des pieds et des jambes, la danse enseignait l’art de se déplacer dans la foule à la cour en préservant son espace vital, sa « bulle ». En complément, l’escrime enseignait la défense de son espace et comment attaquer et percer la « bulle » des adversaires. On passe de l’entraînement, arme à la main, à la joute verbale, pour revenir, si les mots « font mouche », au duel des armes.

L’arme de prédilection est l’épée française dite « de cour » avec sa lame raccourcie « pour mieux se balader dans les couloirs du château de Versailles ». Mais le gain de poids en est certainement la raison la plus probable.

L’avantage par rapport à la rapière bien plus lourde était le gain de vitesse et la possibilité « d’escrimer » en « deux temps », c’est-à-dire, parer et riposter séparément. C’est depuis cette époque que l’on commence à parler de parades proprement dites. Il est évident que dans un jeu qui sépare les parades et les ripostes, il y avait beaucoup d’avantages à redoubler une attaque que l’adversaire à parer sans riposter. Besnard décrit cette action sous le nom de « reprise » qu’elle a gardée jusqu’à aujourd’hui.

C’est le même Besnard qui, dans ce contexte, enseigne l’usage courtois du « salut », qu’il appelle « révérence ».C’est aussi à cette époque que l’escrime française commence à exister et à clairement se distinguer de l’escrime italienne.

L’académie a été fondée sous le règne de Charles IX, puis reconnue, privilégiée et déclarée royale par Henri III, Henri IV et Louis XIII. Elle obtint, sous Louis XIV, par lettre patente, le monopole absolu de l’enseignement d’escrime en France. Il lui accorda aussi un blason. Nul ne pouvait enseigner en France s’il n’avait pas été prévôt sous un maître de l’académie. Le titre de « Maistre en fait d’armes » était accordé après six ans d’apprentissage chez un membre de l’académie et une épreuve publique devant trois autres maîtres.

Il était certainement le personnage le plus connu de l’histoire de l’escrime française, même s’il n’était pas vraiment novateur. Le fait d’écrire son œuvre au début de sa carrière et d’enseigner pendant quarante-six années après sa publication a beaucoup apporté à sa notoriété.

Son texte comprend deux parties, la première en 17 chapitres contient des descriptions très techniques ; la deuxième était destinée à l’enseignant avec des conseils pédagogiques et des exercices.

Les titres originaux des chapitres :

  1. Comme il faut faire monter une épée et choisir une lame
  2. Où il est parlé des premiers mouvements pour réussir au fait des armes
  3. Où il est parlé des principes
  4. Où il est parlé des parades, du fort de l’épée au dedans des armes ; de la manière de pousser de quarte aussi au dedans des armes ; du coup qu’il faut à cette parade, que l’on nomme « coup coupé » ou demi-botte ; des retraites et de la mesure ;
  5. De la parade de la pointe ou du faible au dedans des 3 armes ; et des dégagements
  6. Où il est parlé des temps
  7. De la parade du fort dessus des armes, en élevant le coup
  8. De la parade du faible ou de la pointe dessus les armes, et le coup pour cette parade
  9. De la parade au dedans des armes, en opposant la main gauche ; De la flanconade et du coup nommé demi-volte
  10. D’une manière de la garde italienne
  11. Des parades de main
  12. De ceux qui tiennent l’épée avec les deux mains
  13. De quelques sortes de garde allemande
  14. Des passes au dedans et au dehors des armes
  15. De la passe de seconde sous les armes et du saisissement d’épée
  16. Du voltement de corps et du coup achevé
  17. Des parades en forme de cercle ; et des manières de garde et coups à l’espagnol

En résumé, il admettait cinq gardes et bottes, déjà décrites par ses prédécesseurs :

Cependant, il n’était partisan que des engagements en quarte et tierce, et des parades en quarte, tierce, seconde et septime. Il utilisait les deux premières pour les attaques en ligne haute et en ligne basse et il déconseillait fortement l’utilisation de la main gauche.

En dehors des cinq bottes citées plus haut, Liancourt se servait de la « flanconade » et enseignait la « quarte coupée sous les  armes » et le « coupé » tel que nous le comprenons aujourd’hui, mais sans lui accorder beaucoup d’importance.

La mise en garde se faisait en arrière pour se mettre à l’abri de l’adversaire. Liancourt conseillait de lever l’épée en forme de parade de l’estramaçon, pour pouvoir « estramaçoner » (donner un coup de taille de haut en bas) en cas de besoin. Après on tombe en garde de tierce, le pied gauche « deux semelles derrière » le pied droit. A partir de cette position, on cherche la  mesure, la distance d’engagement avec l’adversaire.

La passe se fait au-dehors et au-dedans des armes et toujours sur l’avance de l’adversaire, plus exactement sur le lever du pied de l’adversaire. Elle permet de gagner un temps d’escrime, de raccourcir la mesure et de saisir l’épée adverse. Elle s’exécute en passant le pied gauche devant le pied droit.

Il différenciait les attaques en ligne haute (au-dessus de la main) et en ligne basse (en dessous de la main), au-dedans des armes (intérieur) et au dehors des armes (extérieur).

Les parades et les bottes au-dedans des armes sont la quarte et la septime, les parades et les bottes au-dehors des armes sont la tierce et la seconde.

Comme déjà dit, la séparation de parade et riposte permettait une reprise d’attaque, si l’adversaire ne riposter pas. 

La flanconade, une botte en quarte forcée, se fait bien en opposition et en bon contact avec la lame adverse. La main gauche ferme la ligne basse.

Liancourt enseignait aussi la demi-volte et la volte.Il utilisait la demi-volte contre un adversaire qui poussait une grande botte par-dessus les armes.

Quand l’adversaire force l’épée, on laisse tomber la pointe de quarte en dessous de la ligne du bras allongé adverse, tournant le corps à demi en pivotant sur la pointe du pied  droit. Ce mouvement ressemble beaucoup à l’action que les Italiens nomment « inquartata ».

Déjà il conseillait de se mettre dans la même garde, ce qui dérangeait fortement l’adversaire. L’attaque se fait avec un engagement en quarte, en avançant d’un petit pas et en tournant le poignet on dégageait par-dessus la lame adverse pour arriver avec la pointe en ligne sous le bras, ce qui permet de pousser une botte en seconde.

Liancourt déconseillait fortement de parer avec la main gauche parce que, obligé d’amener l’épaule gauche en avant, on présentait trop de cible. Il n’utilisait la main gauche qu’en opposition pour fermer une ligne ou pour saisir l’épée adverse. L’action contre les parades de la main gauche était bien sûr le dégagement dessus ou dessous le bras gauche.

Tenir son épée à deux mains semble être assez répandu, Liancourt consacre un chapitre à ce sujet. La riposte à cette parade se faisait en « reprise » ou en « remise ».

L’école allemande a développé son escrime à partir de l’enseignement de Liechtenauer. La garde la plus populaire, le  « Ochs », ressemblait à la prime haute. Liancourt conseillait de prendre la prime haute. L’attaque se faisait avec un dégagement par-dessus et une botte en dedans en septime. La main gauche s’opposait au faible de la lame adverse.

Parmi les actions spéciales, il montrait la volte. Elle s’exécutait sur une passe dessus en tierce de l’adversaire et se terminait avec le dos tourné. Pour Liancourt, c’était plus un exercice de salle d’arme qu’une botte de duel.

Comme beaucoup de maîtres de son époque, Liancourt réfléchissait sur la parade universelle. Sa version était un cercle complet avec le poignet de l’extérieur par l’intérieur en levant la main et baissant la pointe. De cette façon, on passait rapidement par toutes les parades. Cette parade était assistée par la main gauche en opposition au faible de la lame adverse.

A la fin, il a expliqué le coup d’estramaçon à l’espagnole. Il s’oppose à une botte en ligne basse. Sur l’attaque de l’adversaire, on amène le pied droit derrière le pied gauche et, en se soulevant un peu, on touche une cible sur le haut du corps de l’adversaire. C’est bien la riposte à une attaque au pied pratiquée par certaines escrimeuses de l’équipe française.

Le Sieur de Liancourt pratiquait une escrime très académique. Ses principes, nous disait-il, sont ceux de son maître, de qui il parlait toujours avec la plus grande reconnaissance, écrit Egerton Castle dans son livre.

Nous lui devons quand même d’avoir clarifié et structuré l’escrime française. Avec lui, la séparation de l’escrime italienne s’est consommée.

Michael Müller-Hewer