Escrime artistique : Le Combat Médiéval,
Publié le 09.05.2024
Escrime artistique : Le Combat Médiéval
La construction d’un combat chorégraphié
Le combat médiéval est profondément offensif. L'idée de construire un combat autour de la défense ne me semble pas correcte. Pour créer des chorégraphies visuellement intéressantes, l'escrime médiévale nous fournit de nombreux éléments. Le point le plus important d'une chorégraphie est la lisibilité pour le spectateur, selon la devise : on ne peut apprécier que ce que l'on peut voir et comprendre.
Dans ce chapitre, je m’appuie sur le système germanique liechtenauerien et plus particulièrement sur le traité de Meyer de 1570[1], qui, comme je l’ai déjà évoqué, est un œuvre étonnamment moderne. Je vais rassembler quelques éléments de base qui peuvent nous aider à construire une escrime de style médiéval.
1. Les cibles d’attaque
Dans un combat scénique les gestes se doivent d’être précis, d’une pour permettre une bonne lecture par le spectateur et d’autre pour des raisons de sécurité. Les cibles de nos actions sont très importantes. Plus une action est ciblée, plus elle devient crédible et plus votre partenaire est en sécurité, car il comprendra votre geste ce qui l’aide à ne pas oublier la chorégraphie.
Dans les premiers traités, de nombreuses actions autour des points vitaux sont encore décrites. Cela change vers la fin du Moyen Âge, lorsque l'enseignement dans les salles d'armes commence à se répandre dans les villes.
Dans son traité, Meyer évoque les "Blössen", les ouvertures, comme cibles potentielles. La version simple est la suivante : on divise son adversaire en quatre par une ligne verticale et horizontale et on obtient ainsi quatre ouvertures. A l'intérieur de ces 4 ouvertures, les cibles principales restent comme auparavant la tête, le cou, les épaules, les bras et les hanches. En cas d'attaque sur les jambes, les cibles restent au-dessus du genou.
2. Les postures de garde
Ensuite, il existe quatre positions de base qui permettent de fermer une ouverture et d'en contrôler au moins deux autres : Du jour (vom Tag), le bœuf (Ochs), la charrue (Pflug) et le fou (Olber).
Bien que je puisse me placer dans ces positions pour attendre mon adversaire, ce ne sont pas des positions de garde telles que nous les connaissons dans l'escrime moderne, mais des points de départ des actions et de passage pour des coups. Pour ne pas donner trop d'informations à mon adversaire, je n'ai aucun intérêt à m'y attarder longtemps.
- Le bœuf (Ochs) La partie supérieure de l'homme est attribuée au bœuf. On peut diviser la posture du bœuf en deux variantes, le bœuf droit et le bœuf gauche.
- Le bœuf droit se fait de la manière suivante : On avance le pied gauche et on tient l'épée avec la poignée près de la tête, à hauteur de l'oreille droite, de manière que la pointe soit dirigée vers l'adversaire. Pour le bœuf gauche, on fait exactement l'inverse.
- La charrue (Pflug) La partie inférieure de l'homme est attribuée soit à la charrue droite, soit à la charrue gauche. Les deux ne sont en soi rien d'autre qu'une position pour un coup d'estoc par le bas.Charrue droite : on avance le pied droit, on tient l'arme avec la poignée à hauteur de la ceinture, les mains pointent vers la gauche, la lame est légèrement en diagonale et la pointe est dirigée vers le corps de l'adversaire. Si l'on avance le pied gauche et que l'on fait de même, on se trouve en charrue gauche.
- Du jour (vom Tag) La garde du jour, également appelée garde supérieure, s'effectue comme suit : on place le pied gauche en avant et on tient l'épée haut au-dessus de la tête, légèrement en diagonale, la pointe vers l'arrière.
- Tout ce qui est exécuté par le haut est appelé combat à partir du jour ou garde supérieure. La position peut également être exécutée avec le pied droit devant.
- Le fou (Olber) Meyer pense que le mot Olber est dérivé du mot Alber, qui signifie "simple d'esprit". Ceci surtout parce que cette attitude ne permet pas de réussir un coup parfait.
- Le fou s'exécute de la manière suivante : On avance le pied gauche et on tient l'épée devant le pied avant, la pointe tendue vers le sol, le court tranchant vers le haut et le long tranchant vers le bas.
Dans le traité de Meyer, nous trouvons treize positions pour l'épée - la garde de colère, la porte de fer, la garde de barrière, la garde latérale, la garde suspendue, le changement, la clé, la licorne et la longue pointe. Nous en trouvons une vingtaine d'autres dans d'autres textes.
Et j'insiste sur le fait que les positions ne sont pas des positions de garde défensives, mais des points de départ pour les attaques et des points de passage pour les coups.
3. Les coups
A partir de ces gardes, nous définissons trois familles de coups :
- - Coup supérieur : vertical ou diagonal du haut vers le bas (Oberhau).
- - Coup médian : horizontal, parallèle au sol (Mittelhau).
- - Coup inférieur : coups ascendants, principalement en diagonale, mais aussi verticalement (Unterhau).
Tous les coups peuvent être classés dans ces trois catégories. Il est intéressant de noter qu'environ 80% des coups sont portés de haut en bas, le reste étant généralement des coups horizontaux. Les coups montants sont très rarement utilisés, car ils exposent le haut du corps à une contre-attaque.
Nous faisons également la distinction entre les coups directs et les coups inversés, c'est-à-dire les coups portés avec le contre-tranchant.
Dans les traités, on trouve un grand nombre de coups différents. Ça donne l'impression que chaque maître s'est efforcé d'en inventer au moins un. Dans ce qui suit, nous allons nous intéresser à ce que l'on appelle les coups de maître.
"Non pas parce que celui qui peut les exécuter correctement est un maître de cet art, mais parce que toutes les actions se développent à partir de ces coups et que celui qui peut les exécuter correctement peut être considéré comme un escrimeur habile", explique Meyer.
Il existe cinq coups de maître :
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Le coup de colère est un coup direct et oblique de l'épaule droite ou gauche (voir garde de colère) contre l'oreille de l'adversaire à travers les deux lignes diagonales qui se croisent au-dessus de la ligne verticale. Il s'agit du coup le plus fort. Il est également appelé coup de guerre ou coup de père.
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Coup crochu (Krump) est exécuté comme suit : depuis la garde furieuse, lorsque l'adversaire frappe vers ma gauche, on fait un pas contre vers la droite et on frappe avec le long tranchant et les bras croisés entre la tête et la lame en travers de sa main. Ce faisant, on passe la lame au-dessus du bras. Ce coup peut également être utilisé contre un coup vers ma droite en faisant un pas vers la gauche et en frappant avec le contre-tranchant entre tête et lame.
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Le coup travers (Zwerch) est un coup médian effectué avec le long tranchant ou le court tranchant. Depuis la position de la colère droite, le pied gauche en avant, on frappe horizontal en même temps que l'adversaire, en tournant la main, avec le contre-tranchant vers sa tête. De même de la position de la colère gauche, le pied droit en avant, on frappe avec le tranchant vers sa tête.
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Le coup de bigle (Schiel) est également un coup supérieur. On l'appelle ainsi parce qu'on regarde un peu du coin de l'œil en frappant. C'est un coup vertical inversé avec le contre-tranchant. Depuis la position du jour ou de la colère, le pied gauche en avant, on frappe en même temps que l'adversaire, en tournant la main, avec le contre-tranchant vers la tête de l'adversaire. En même temps, on déplace le pied droit vers la gauche.
- Le coup cranien (Scheitel) est un coup vertical direct porté du haut de la position de jour au milieu de la tête de l'adversaire.
Je ne pense pas qu'il soit d'un grand intérêt pour nous d'entrer dans d'autres descriptions de différents coups figurant dans les traités, mais j'invite chacun à faire quelques recherches. Les sources sont disponibles en version originale et en traduction sur Internet.
4. La tactique du combat et son utilisation pour la chorégraphie
En escrime olympique également, l'attaque est divisée en trois parties : Préparation ou approche, attaque et touche, retrait. Chez Meyer 1570, on peut lire : "Zufechten, Handarbeit, Abzug (approche, travail de mains, retrait)". Ces trois phases étant clairement définies, il me semble judicieux de les utiliser comme structure de base pour une chorégraphie.
De tout temps, les brutes assoiffées de sang ont eu mauvaise réputation. Dans les textes, ils sont appelés " paysans " ou " bœufs ", on parle aussi de " combattants naturalistes " qui comptaient sur leur force brute et leurs réflexes. Ils étaient généralement considérés comme très redoutables mais, avec un peu d'expérience, ils étaient faciles à dompter. En escrime, l'habileté, la réflexion et la tactique l'emporteront toujours sur la force brutale.
Pour l'escrimeur moderne d'aujourd'hui, il est préférable de savoir quand l'autre va attaquer. Une tactique courante consiste à déclencher l'attaque de l'adversaire, puis à parer et à riposter. C'est le principe de l'escrime défensive.
Il en va différemment avec une arme de taille, qui n'est pas utilisée pour la défense. Comme nous l'avons déjà mentionné au début de ce chapitre, les combattants sont offensifs. La phrase "l'attaque est la meilleure défense" semble ici mieux convenir. Il s'agit de prendre l'initiative.
Dans les textes germaniques, cette tactique est réduite à quatre mots : "Vor - Nach - Gleich - Indes", qui peut être traduit par "avant, après, en même temps, pendant". L'attaquant est dans l'avant, il a pris l'initiative. L'agressé se trouve dans l'après. Il subit l'attaque. L'un va essayer de garder l'initiative, l'autre va essayer de la reprendre et de renverser la vapeur.
Le terme "en même temps" désigne une situation dans laquelle les deux combattants frappent en même temps. S'ils utilisent le même coup, par exemple un coup de colère de droite, les deux coups se neutralisent. Si les coups sont différents, il y a un risque que les deux soient touchés.
Il existe différentes interprétations du mot « pendant ». L'explication la plus simple est qu'il ne faut pas perdre la vue d'ensemble de la confrontation pendant l'action, qu'il faut par exemple voir qu'en même temps que j'attaque l'ouverture à gauche, je m'ouvre aussi sur ma gauche, de même que l'effort pour dévier mon arme expose mon adversaire à droite. Ce mot ne signifie rien d'autre que la nécessité pour un combattant de garder un certain recul.
En essayant de prendre l'initiative, les deux combattants se retrouvent souvent dans une situation où les deux lames sont engagées. Il s'agit d'une sorte d'impasse dont il est impossible de sortir sans se mettre en danger. Dans une telle situation, le travail autour de la main de l'adversaire commence, ce que les textes allemands appellent le "Handarbeit" et qui se transforme généralement en combat de lutte. Il est important de noter que la lutte fait partie intégrante du combat médiéval. Tout texte majeur de cette époque contient un chapitre sur le combat à mains nues, avec une dague et parfois même avec une épée.
Ce schéma s'applique à toutes les armes et à tous les combats individuels et collectifs. Il peut être utilisé pour créer des chorégraphies.
5. Comment s’approcher d’un adversaire ?
Cette question se pose pour tout type de combat, qu'il soit simulé ou réel. L'approche linéaire ne convient que pour estoquer, car elle raccourcit trop rapidement la distance et rend impossible de frapper correctement. L'approche du coup est plutôt en diagonale par rapport au partenaire ou à l'adversaire. Comme le partenaire se déplace en conséquence, les combattants se déplacent généralement en cercle. C'est idéal pour les combats qui se déroulent en plein air, par exemple sur les marchés ou dans les fêtes. C'est notre cercle de jeu, notre scène de spectacle.
Le point critique est l'entrée dans la distance de frappe. L'adversaire se déplace vers moi et va essayer de me toucher dès que j'ai atteint la distance. Il y a plusieurs possibilités. L'une d'entre elles pourrait être de prendre le "Vor" et de forcer l'adversaire à reculer, par exemple par des moulinets ascendants (Unterhau) qui précèdent l'attaque proprement dite.
Un exemple de la manière dont cela pourrait ensuite se dérouler : Un coup supérieur droit sur l'oreille gauche de l'adversaire, suivi d'un coup inférieur sur le coude droit et d'un coup médian sur l'épaule gauche. Si je rate ou si l'autre ne reprend pas l'initiative, je peux me retirer pour préparer l'attaque suivante. À ce moment-là, je risque une contre-attaque ou au moins un "après-coup", c'est-à-dire que l'autre va essayer de me toucher pendant que je me retire - une situation classique dans les compétitions modernes d'AMHE, où les coups simples sont comptabilisés, mais moins probable à l'époque où un coup devait être efficace.
Il est donc beaucoup plus probable que mon adversaire prenne l'initiative après que j'ai abandonné l'attaque. Je me trouve dans l'après, qui pourrait se terminer par l'engagement des deux lames. Nous passons alors au "travail à mains", au combat rapproché, car je ne peux pas quitter la lame adverse sans créer une ouverture que mon adversaire ne manquera pas d'exploiter.
6. Le combat rapproché
Le combat rapproché peut devenir un moment très intense de la chorégraphie. Le problème reste la visibilité des actions. Comme nous travaillons toujours à l'épée, nous sommes obligés de garder une certaine distance avec notre partenaire. Cela aide le spectateur à bien voir l'action.
Comme je l'ai dit, le jeu se fait autour de la main de mon partenaire. Nous essayons de passer la pointe derrière sa lame, de passer le pommeau au-dessus ou en dessous de son bras ou de passer avec notre épée entre son épée et son corps. Nous pouvons aussi utiliser le quillon pour accrocher les poignets. Ou, en plaçant notre main libre comme "demi-épée" sur la lame, nous essayons de le faire chuter. Enfin, le combat rapproché consiste en une multitude d'actions visant à "blesser" l'adversaire, à le désarmer ou à le mettre hors de combat. C'est là que l'on peut par exemple utiliser une clé.
7. La lutte
La lutte, qui termine souvent les combats individuels n'est pas très différente de ce qui est pratiqué aujourd'hui. Si l'on regarde les dessins de Talhoffer ou de Dei Liberi, on pourrait souvent superposer des noms japonais, issus du judo, sur certaines des actions représentées. Nous avons très peu de représentations de coups de poing, ce qui ne veut pas dire qu'ils ne se sont pas produits.
La lutte avec un poignard ou une épée peut être très spectaculaire.
8. Exemples d’enchainements
Dans son livre de 1570 Meyer nous donne des exercices d’enchaînements, qui peuvent nous inspirer pour des chorégraphies.
À partir du coup supérieur :
- La première pièce. Si tu arrives devant ton homme et que tu as atteint la hauteur d'un coup supérieur avec l'épée levée, et qu'il te frappe entre-temps à gauche vers la tête, saute de son coup à gauche vers lui et frappe avec l'extérieur (le plat de la lame) contre son coup volant, de sorte que tu touches son épée dans le fort. Fais-le si violemment que la partie avant de ta lame se répercute au-dessus de son épée vers sa tête. Cela se produit lorsque tu le frappes en même temps et que tu passes ton épée au-dessus de la sienne. Après ce coup, qu'il ait touché ou non, tu relèves ton épée et tu frappes son bras droit par en dessous. En même temps, tu passes ton pied gauche sur son côté droit et tu te penches avec ta tête derrière la lame de ton épée. De là, tu sautes rapidement vers le haut et tu balances le court tranchant en direction de son oreille gauche. Si tu constates qu'il essaie de te suivre, ne laisse pas ton coup le toucher, mais freine, croise tes bras en l'air (le droit au-dessus du gauche) et frappe profondément avec le court tranchant en direction de son oreille droite. Ensuite, fais demi-tour et retire-toi.
- La deuxième pièce. Mais s'il te frappe par en dessous, à ta gauche, fais un autre pas vers sa gauche et frappe avec le long tranchant sur le fort de son épée. Dès que ton épée touche la sienne, tu la fais rebondir vers le haut et tu frappes profondément avec le court tranchant vers son oreille gauche en un seul mouvement, accompagné d'un autre pas vers sa gauche. Il se dépêchera de la détourner et relèvera son épée. Frappe donc rapidement avec le long tranchant en direction de son oreille droite. Fais un pas vers la droite comme précédemment et garde la croix haute au-dessus de ta tête. Dès qu'il dévie ta lame, retombe avec le tranchant sur ses bras. S'il ne veut pas en souffrir mais se dégager, suis-le en restant sur ses bras et frappe vers une autre ouverture, au moment où il s'y attend le moins. Retire-toi ensuite.
- La troisième pièce. Mais s'il te frappe à ta droite, quand tu es ainsi arrivé à la garde supérieure, fais rapidement un pas avec ton pied gauche contre sa droite hors de son coup, et tombe en même temps avec le long tranchant sur le fort de son épée. Si tu tombes ainsi sur son épée, glisse ton pommeau sous ton bras droit de manière à le frapper à la tête avec le court tranchant bien au-dessus ou à côté de son épée, les bras croisés. Mais s'il monte avec son épée contre sa droite, laisse passer le demi-tranchant à côté de l'épée en faisant un pas de côté contre sa gauche, et frappe avec le long tranchant droit sur sa tête depuis le haut. Remonte rapidement et frappe son oreille gauche avec un coup médian (Zwerch), tout en reculant avec ton pied gauche. Retire-toi ensuite de lui.
(Transcription A. Kiermeyer[2], traduction HMMH)
Comme tous les textes ils nous laissent une marge d’interprétation. Prenons-les donc comme source d’inspiration pour des actions de combat.
[11 Joachim Meyer, Gründliche Beschreibung der freien ritterlichen und adeligen Kunst des Fechtens, 1570
[2] Joachim Meyers Kunst zu Fechten, A. Kiermayer, Art of Mars 2012