Essai sur l'Escrime

Publié le 11.07.2023

À la fin des années 90, je crois que c'était dans la boutique Jeanne Élise d'Antan chez Maître Castanet, l'antiquaire de l'escrime, j'ai trouvé un petit livre d'un maître d’armes dont je n'avais jamais entendu parler, Georges Dubois. Le petit livre était en mauvais état, mais le prix n'était pas cher. Lorsque j'ai commencé à lire le livre en tournant délicatement les pages très abîmées, j'ai constaté que je tenais un véritable trésor entre mes mains.  J'avais trouvé l'origine  de ce  que l'on  appelait encore en France, dans les années 1990, "l'escrime ancienne".

Avant d'aller plus loin dans les détails, je dois vous parler de l'auteur, un homme oublié par l'histoire, extraordinaire et merveilleux. Si l'on en croit Internet, c'était un artiste, un touche-à-tout, un athlète et un précurseur dans la recherche sur les  AMHE.  Mesdames  et  Messieurs,  je  voudrais  vous  présenter  Emile  Georges Martial DUBOIS, un homme que j'aurais aimé connaître.

Georges Dubois naît le 18 mars 1865 à Paris. Et il y meurt également le 17 mai 1934 à l'âge de 69 ans. Sa grande passion est le sport. Mais par les hasards de la vie, il devient sculpteur. Comme il ne peut pas nourrir sa famille avec son art, il travaille comme lutteur dans un cirque. Il  semble malgré tout  avoir  eu du talent, car en 1912, il remporte une médaille d'argent au concours de sculpture des Jeux olympiques de Stockholm. De son ciseau naît également la tête de Frédéric Chopin, qui se trouvait au  Jardin  de  Luxembourg.  Malheureusement,  celle-ci  est  perdue  pendant  la Seconde Guerre mondiale.

Il apprend l'escrime, devient professeur d'escrime puis maître d'armes. Puis il prend le poste à l'Opéra-Comique de Paris. On lui reconnaît de grandes qualités, car il préside souvent un duel ou en est le témoin. Ses  années  de  lutte  au  cirque  l'ont  mis  en  contact  avec  la  savate,  qu'il enseigne  également. Lorsque le jiu-jitsu fait son apparition en France, il affronte en combat  public  Ernest  Réynier,  qui  représente  alors  la  nouvelle  vague  des  arts martiaux japonais.  Le  combat  a lieu  le  20  octobre  1905  et  dure exactement  six secondes. Dubois lance l'attaque, mais atterrit au sol, bloqué par Réynier à l'aide d'une clé.

Il est également connu comme un maître d'armes érudit. Il lit tout ce qui touche de près ou de loin à l'escrime. Ses recherches sur le combat de gladiateurs sont aussi connues que ses travaux sur l'escrime à la dague et à la rapière italienne. Et il est l'un des maîtres d'armes français les plus prolifiques en termes de publications. D'abord de petits articles dans des revues spécialisées comme "La Culture Physique", où il parle d'autodéfense pour les femmes ou de gladiature, puis dans des dizaines de livres et de brochures. Il était un grand ami de Letainturier- Fradin, qui lui a consacré plusieurs pages dans son ouvrage "Le Théâtre Héroïque".

L'ouvrage qui nous intéresse ici s'intitule modestement "Essai sur l'Escrime (dague  et  rapière)"  et  contient plusieurs  chapitres  d'exercices  mis  au  point  par Maitre Albert Lacaze. Pour faire court : Dubois décrit en quelques pages une forme moderne de duel à la dague et à la rapière. Pour comprendre l'intérêt de ce texte, il faut  savoir  que  c'est  l'époque  où  la  boxe  anglaise  commence  à  conquérir  le continent. En France, cela se fait au détriment de l'escrime. Selon l'une des théories, c'est parce que l'escrime n'utilise qu'une seule main dans le combat, alors que la boxe  utilise  les  deux  mains.  Il  semble  que  les  deux  compères  proposent  leur nouvelle escrime comme quatrième arme de compétition à la fédération d’escrime de l'époque, qui n'en veut pas.

L’escrime de la dague et de la rapière  devient  une  escrime  de  loisir. Dubois l’utilise également sur scène à l'Opéra-Comique, où il crée des chorégraphies de combat. L’épée que nous connaissons encore sous le nom de «la rapière légère» est conçue et produite par Souzy, boulevard Voltaire à Paris. C’est le début de ce que l'on appellera en France pendant plus d'un demi-siècle « escrime de spectacle», «escrime ancienne »,   «escrime des mousquetaires » ou encore « escrime du grand siècle».

Mais ce n'est pas Georges Dubois qui la popularise. Il faut d'abord citer Pierre Lacaze, le fils d'Albert, devenu à son tour maître d'armes et enseignant à l'école militaire de Joinville le Pont. Plus tard, il prend le poste de maître d'armes à l'Opéra-Comique.  Il  compte  parmi  ses  élèves  deux  illustres  personnalités  qui influencent le monde de l'escrime de spectacle en France et au-delà, les maîtres Claude Carliez et Bob Heddle-Roboth. Le premier régit les cascades et les combats d'escrime dans le cinéma français pendant près de 40 ans à partir des années 60, le second est maître d'armes dans les écoles de théâtre les plus prestigieuses de Paris. Ensemble,  ils  ont  façonné  l'image  de  l'escrime  française  dans  les  films  et  les spectacles.  Dans  les  années  90,  ils  sont  tous  deux  à  l'origine  d'un  nouveau mouvement, « l'escrime artistique ».

J'ai eu l'immense privilège de travailler pendant 14 ans avec Bob, l'homme de théâtre, et  de tourner  quelques films sous la direction de Claude en tant  que cascadeur et acteur. Lors d'un stage en 1989, j'ai pu rencontrer Pierre Lacaze, qui m'a donné une mémorable leçon de fleuret. C'étaient  de  grandes  personnalités,  peut-être  à  l'image  de  leur  illustre prédécesseur, mais dont ils ne nous ont jamais parlé.
Mais à travers eux, Georges Dubois nous a laissé l'immense héritage de son escrime à deux armes, base de toutes les escrimes sauf l'escrime sportive.