L’armement celtique à l’étude

Publié en 2007

Fig.1 L'équipement du guerrier de la Tène moyenne.
Luginbuhl, T., Cuchulainn, mythes guerriers et sociétés celtiques, Gollion, infolio, 2006, p. 117.

1) lance servant comme arme d'hast et de jet à courte portée.

2) épée à tranchants parallèles, principalement utilisée pour frapper de taille.

3) long bouclier plat et ovalaire, à renfort central (spina) et umbo (protection pour la main) en fer.

Effectuer des recherches sur l’armement celtique est un vrai défi pour l’archéologie expérimentale. Pour obtenir des résultats exploitables, if faut réunir un grand nombre de conditions.

1. La reconstitution des pièces de l’armement nécessite des connaissances approfondies sur les matériaux utilisés, la façon dont ils étaient traités et la forme exacte de l’objet.
2. Une fois reconstitués et avant de commencer à utiliser les objets, il faut effectuer des recherches sur les descriptions écrites ou les représentations iconographiques et circonscrire les champs d’utilisation.
3. Une pièce d’armement fait toujours partie d’une panoplie d’autres pièces. Puisque on ne peut pas étudier une pièce isolément, il faut reconstituer toute la panoplie de l’armement.
4. Les participants d’une expérience sur le combat doivent avoir suivi une formation élémentaire sur le maniement des armes dispensées par un spécialiste.

En 2003, Cladio était en mesure de reproduire des épées celtiques et des boucliers. Fasciné par le mythe de l’épée, comme beaucoup d’autres avant nous, nous avons cru qu’elle constituait l’arme principale des Celtes. Nous nous sommes trompés.

Pendant plus de 12 siècles, la forme de l’épée et sa technique élémentaire d’utilisation ne changea que très peu.
L’épée se portait sur le côté droit dans un fourreau en métal équipé d’une bouterolle*. Le fourreau était fixé à la ceinture par une chaîne spéciale ou avec des lanières.

Fig. 2 Nomenclature de l'épée et de son fourreau (d'après A. Rapin).
Brunaux, J.-L., Lambot B., Guerre et armement chez les Gaulois. 450-52 av. J.-C, Paris, Errance, 1987, p. 86.
a) lame
b) poignée en bois
c) rivets
d) croisière
e) plaque de tôle
f) bouterolle
g) frette
h) entrée du fourreau vue avers
i) entrée du fourreau vue revers
j) pontet ou pièce de suspension

Ces données m’amènent aux conclusions suivantes :
- L’idée que l’épée était portée à droite pour des raisons « magiques » ou « mythiques » ne résiste pas à un examen sérieux. Cependant, le port de l’arme à droite permettait de sortir l’épée pendant le combat sans se découvrir en ouvrant la couverture par le bouclier. Ceci constitue un indice supplémentaire de ce que l’épée était utilisée comme arme secondaire. Le port de l’épée à droite du corps limitait sa longueur à la longueur du bras armé. On peut alors, à partir de la longueur de l’arme, évaluer la taille de son propriétaire. Nous pouvons aussi exclure la supposition que les Celtes étaient en majorité des gauchers.
- Par sa forme, l’épée était une arme de taille, ce qui n’empêche pas, à l’occasion, son utilisation en estoc. Les tranchants parallèles garantissaient une grande énergie d’impact. Son poids et son bon équilibre permettaient une grande rapidité d’action. En raison de la prise de risque considérable qu’implique ce genre d’action, le coup d’estoc était peu utilisé. Sa longueur la désignait pour le combat singulier, elle la rendait inapte au combat en rang serré. La présence d’une bouterolle* sur le fourreau est un indice de ce que l’épée était également utilisée pour monter à cheval.
- La lame d’épée était très fragile. Chaque contact avec un objet dur comme un casque ou l’orle* du bouclier pouvait l’endommager, voire la détruire. De plus, la main n’était pas protégée par une garde. Il était alors impossible d’exécuter des parades en opposition comme nous les pratiquons aujourd’hui.

En collaboration avec Xavier l’Hoste, nous avons pu reproduire un grand nombre de boucliers celtiques. 

Fig.3 Assemblage d'un bouclier (d'après A. Rapin). Brunaux, Lambot 1987,p. 98.
a) manipule de fer
b) poignée en bois
c) planche
d) orle
e) spina
f) umbo
S) rivets

D’un poids situé entre 2,5 et 4 kilos, le bouclier était une arme à la fois offensive et défensive. De forme ovale et posé au sol, il couvre le corps de son porteur jusqu’au début du sternum (milieu du torse). Dans cette position, le manipule central et horizontal était pratiquement à la hauteur des mains, les bras allongés le long du corps.

Il existe plusieurs techniques de fabrication des boucliers. Les plus légers étaient, d’après certains textes latins, fabriqués avec des planches en bois vert. D’autres étaient fabriqués avec des lattes croisées collées, qui les rendaient plus lourds mais aussi plus résistants.

 D’une épaisseur de quelques millimètres sur les bords, la planche ne dépassait pas 1 cm au centre, si nous tenons compte de la longueur des clous de fixation de l’umbo*. Le bouclier était un « consommable » : après le combat on en récupérait les parties métalliques pour la fabrication d’un nouveau bouclier. Selon mes recherches, il semble peu probable que le bouclier ait été couvert de peau ou de cuir. Une telle couverture l’aurait certainement rendu plus résistant, mais aussi plus lourd et moins efficace au combat contre une lance ou une épée. En effet, les parades contre un coup d’épée se font avec le bord du bouclier. Soit la lame se cassait ou s’ébréchait sur l’orle*, soit elle s’enfichait dans le bois et pouvait facilement être arrachée de la main de l’adversaire d’un léger pivot du bouclier. Idem pour les lances. Une fois bien enfichée dans le bouclier, elle était perdue pour son porteur.
C’est la spina* qui, en plus de renforcer la structure, transforme le bouclier en arme mortelle. Elle garantissait un bon transfert d’énergie sur les bords. Aucun os, aucune protection corporelle ne pouvait résister à l’impact d’un coup donné avec la spina* en ligne de la cible. L’existence de la spina* donne au bouclier une grande importance en tant qu’arme offensive, sa disparition plus tard indique un changement d’utilisation de l’arme.
L’umbo* en métal de forme rectangulaire servait directement à protéger la main qui tenait le bouclier contre des lances, des javelots ou des flèches, armes capables de traverser le bois. De formes différentes, il traversera les siècles jusqu’à la fin du Moyen Age.

L’orle* en métal était fixé sur le bord haut et bas du bouclier. C’était un renforcement qui servait à l’attaque comme à la protection de la planche.

Larme offensive principale était certainement la lance. Comme arme pour le combat à distance le guerrier utilisait aussi plusieurs javelots. Il y a une grande ressemblance entre les têtes des lances et des javelots, les têtes des derniers étaient plus courtes et les ailes moins larges. De formes symétriques, ces têtes de javelot ne ressemblaient pas aux pointes des pilums romains. L’utilisation en était alors différente, le guerrier celte visait son adversaire et essayait d’éviter le bouclier. Un test de tir va se mettre en place durant l’été 2007.
Le secret de la tête de lance est son nerf qui concentre toute l’énergie du mouvement dans sa pointe et lui donne une grande capacité de pénétration. De forme souvent surprenante et plus ou moins large, la feuille de la tête de lance servait surtout à faciliter la pénétration et créer une hémorragie.
La tête elle-même était fixée à la hampe par deux clous. Petite astuce des Celtes : ils plaçaient une petite pointe en métal sur le bout de la hampe à l’intérieur de la douille. La force de l’impact faisait entrer la pointe dans la hampe en écartant le bois contre l’intérieur de la douille, fixant ainsi la tête plus fermement.
Surprenant aussi est le petit diamètre de la douille de fixation (~1,5 à 2 cm) de la plupart des têtes trouvées. Une comparaison avec des têtes de lance du Moyen Age montrera une différence de plus d’un centimètre. La raison en est certainement le goût des Celtes pour le combat singulier. N’ayant pas pour objectif de repousser des charges massives ou une attaque à cheval, la hampe de la lance restait fine et légère. Les pointes de lances avec des douilles plus larges servaient probablement à la chasse.

Pour des raisons de formation et d’entraînement, nous sommes alors obligés de créer un nouvel art de combat celtique, qui ne correspond certainement pas à l’art de combat des Celtes du 3e siècle avant JC, mais qui reste dans le cadre d’une réalité historique et d’une logique martiale.
L’inspiration nous vient de plusieurs sources : il y a d’abord les scènes de combat représentées sur des stèles, des bas-reliefs ou des mosaïques d’origine grecque ou romaine, les techniques connues de la fin du Moyen Age, mais aussi les arts martiaux pratiqués aujourd’hui.

 

Bilikat, l’art du combat celtique, est un art martial jeune, en plein développement. Des expériences de combat étaient réalisées surtout à l’épée et au bouclier, un peu à la lance et au javelot. Conscient que les vérités d’aujourd’hui peuvent être les erreurs de demain, ceci constitue une tentative de décrire et de fixer les premiers éléments trouvés.
Beaucoup d’indices tels que la forme, le genre d’armes utilisées, la fragilité de l’épée et certains détails des légendes et des « chansons de geste » celtiques nous indiquent que le style de combat était offensif, voire violent. Adeptes du combat singulier, ils étaient des habitués du corps à corps. Il existait probablement une technique de lutte à main nue propre aux Celtes et peut-être proche du pugilat ou de la lutte mongole pratiquée encore aujourd’hui. Tout laisse à penser que le jeu d’arme des Celtes était fondé sur la prise d’initiative dans l’attaque et la tentative de dominer l’adversaire à tout prix.
Nous allons essayer d’intégrer ces réflexions à notre travail sur le Bilikat.